« Le plus grand danger qui menace la Confédération Africaine de Football ce serait une scission entre Anglophones et Francophones ». Lorsqu’il évoquait la question avec son entourage, Issa Hayatou ne croyait pas si bien dire. Quelques années plus tard il allait perdre son siège de président condamné par le trio Amaju Melvin Pinnick, Phillip Chiyangwa et Kwesi Nyantaki, banni à vie depuis pour corruption. Pour les mêmes raisons le Nigérian et le Zimbabwéen ont eu des démêlés avec la justice de leurs pays. D’autres pays se sont ralliés à la cause des Anglophones, les opportunistes, avides de postes, ainsi que les Egyptiens et les Marocains.
Les Egyptiens n’avaient pas digéré que la société « Presentation
Sports », proche du palais présidentiel d’El Orouba, n’ait pas été retenue
pour les droits marketing et médias de la CAN et que l’ancienne équipe
dirigeante ait préféré renouveler son partenariat avec le groupe « Lagardère
Sports ». La société égyptienne affirmait avoir fait une offre supérieure.
Cette affaire qui a valu une plainte devant l’autorité égyptienne de la
concurrence (ECA) n’est pas définitivement réglée. On y reviendra peut-être un
jour. Pour l’heure ce n’est pas le sujet du moment. On peut juste affirmer que
la tension entre l’Egypte et la CAF n’est pas récente. Elle remonte au mois de
septembre 2011 lorsque le Comité exécutif avait validé la nomination du
Marocain Hicham El Amrani au poste de secrétaire général. Les Egyptiens considéraient,
au regard de leur apport indéniable depuis 1957 à l’institution CAF, qu’ils
avaient une sorte de droit de préemption sur le poste. Le président Hayatou
avait estimé que l’Egypte n’avait aucun droit de regard, d’autant moins que le
Marocain avait d’abord été choisi comme adjoint, un an plus tôt, par le
titulaire du poste parti ensuite à la FIFA.
Une autre affaire avait sérieusement irrité les Egyptiens. Le 15 octobre 2013, la
télévision nationale avait piraté les images d’un match du dernier tour éliminatoire
de la CAN 2014 au Ghana. Les droits ayant été préalablement acquis par la
chaîne qatarie Al Jazeera Sports. La fédération égyptienne écopa d’une amende
de 1,5 millions de dollars.
Les Marocains ont, eux aussi rallié, la confrérie des « Tout
sauf Hayatou ». Ils estimaient que le Camerounais avait savonné leur
candidature à l’organisation de la Coupe du monde 2026 en confiant l’organisation
de la Coupe d’Afrique 2017 au Gabon et non à leur pays. Après avoir hésité
avant de rallier la cause des frondeurs, ils s’étaient résolus à soutenir la
candidature du candidat Ahmad. On vit ainsi le président de la Fédération
royale marocaine et quelques affidés se répandre en janvier 2017, quelques
semaines avant l’élection de mars, dans les salons de l’hôtel Park Inn à Libreville.
Ils étaient en campagne. Plus malins que les Egyptiens, ils étaient devenus les
têtes de listes. Ils ne manquaient pas d’arrière-pensées. Regardez aujourd’hui
l’organigramme de l’institution faîtière du football africain : 3e
vice-président, président de la Commission des finances et membre du Comité d’urgence
Fouzi Lekjaa ; secrétaire général, Mourad Hajji, parachuté il y a à peine
quelques semaines. En janvier 2019 il inaugure le poste de coordinateur
général, finction qui ne figure pas dans les statuts. Et le 11 avril il prend
la place du secrétaire général, Amr Fahmy, viré illico presto. A deux
exceptions près les Marocains sont présents dans toutes les commissions permanentes,
celle des affaires juridiques et celle du beach soccer et futsal. Beau tir
groupé. Rien ne peut leur échapper. Beaucoup pensent que Fouzi Lekjaa, qui est
également président de la fédération marocaine et président de la Renaissance
Sportive de Berkane, est le véritable patron de la CAF. Il se dit d’ailleurs
que les relations entre lui et Ahmad se seraient tendues ces derniers temps, la
grenouille malgache se voyant bœuf.
Il est intéressant de rappeler que lorsque le Maroc avait renoncé à la CAN 2015
au mois de janvier pour cause de fièvre Ebola dans certains pays d’Afrique de l’Ouest,
il avait demandé de déplacer l’épreuve au mois de juin. Il était en avance sur
la décision prise en juillet 2017 à…Rabat de déplacer l’épreuve-phare du
calendrier africain pour faire plaisir aux clubs européens. Peut-être le moment
de se souvenir qu’il y a plusieurs décennies le Maroc et quelques autres pays
de la zone Nord avaient souhaité intégrer l’UEFA. Ce qui leur fut refusé.
Depuis de nombreux mois, par ailleurs, on évoquait çà et là le désir des
Marocains d’héberger le siège de la CAF en remplacement du site du Caire. Non.
Il faut voir la stratégie du royaume d’une manière différente, avant tout
politique et économique. Elle s’inscrit totalement dans la phase qui a précédé
la réintégration du Maroc au sein de l’Union Africaine en janvier 2017. Elle a été longuement préparée par les divers volets
de la diplomatie marocaine qui combine diplomatie des voyages et du
portefeuille, accords de sécurité et coopération militaire, et surtout
diplomatie économique avec les pays africains. Le football a été un instrument
au service de cette stratégie. Accords de partenariat signés avec près de 40
associations nationales, hébergement d’équipes nationales venues effectuer des
stages de préparation sur le territoire marocain.
Nombre de manifestations de la Confédération Africaine de Football ont été
organisées à Rabat ou Casablanca, davantage même qu’au Caire. L’accueil sympathique
et chaleureux du pays a reçu l’adhésion des visiteurs qui ne se sont pas posé
trop de questions. L’intention, en fait, n’était pas dénuée d’intérêt. Ceux qui
suivent l’évolution des grandes entreprises sur la scène africaine n’ont pas pu
ne pas constater une omniprésence des sociétés marocaines. Un jour peut-être
étudiera-t-on dans les écoles de sciences politiques la stratégie du Roi
Mohamed VI.
L’utilisation du football correspond bien à son rôle en Afrique. La CAF fait partie du patrimoine culturel. Elle a été la première organisation continentale à voir le jour en février 1957 à Khartoum au Soudan. L’Organisation de l’Unité Africaine, rappelons-le, n’a été instituée qu’en mai 1963. La CAF a été la première institution africaine à combattre l’apartheid et à exclure dès sa création l’Afrique du Sud alors que cette dernière fut partie prenante de sa création aux côtés de l’Egypte, de l’Ethiopie et du Soudan. Le sport a précédé le politique et a toujours occupé une place privilégiée sur la scène africaine, sans jamais trahir son identité. C’est pour cela que chacun, sur le continent, se sent concerné par ses activités et son fonctionnement.
Un climat délétère règne depuis plusieurs mois au siège de la CAF au Caire. Si les faits que nous vous avons communiqués sont avérés alors le Président Ahmad ne peut pas rester à sa tête. La FIFA a été saisie de plusieurs dossiers. Elle va devoir trancher très vite. Elle a pris l’habitude de nommer en Afrique un Comité de normalisation dès qu’une association nationale donne des signes de faiblesse. Alors oui, si nécessaire, il faudra mettre la CAF sous tutelle afin de ramener de la rigueur dans la maison. On attend rapidement des réponses, enfin sûrement pas avant le Congrès de la FIFA dans quelques jours à Paris, ni avant la CAN en Egypte fin juin/mi-juillet.
Si la prise illégale d’intérêts et le harcèlement sexuel sont avérés, alors la justice doit passer.