Le succès du Maroc…et après ?

La Coupe du monde à peine achevée, il est de coutume de se lancer dans des bilans qui ne sont que de simples états des lieux. Pour ceux qui ont porté leur intérêt plus spécifique sur le football africain, il est évident que les Lions de l’Atlas ont réveillé la fibre continentale. Mais il faut demeurer très éveille car les nouvelles de nombre des 54 pays membres de l’association continentale sont plus qu’inquiétantes. Le football africain est malade et trop nombreux sont ceux qui font profession de fermer les yeux et de se boucher les oreilles.

Commençons par le positif, le très positif, les Lions de l’Atlas. Ils ont rugi aux quatre coins de Doha, impressionnés ni par les Croates, ni par les Belges, ni par les Canadiens, ni par les Espagnols, ni par les Portugais. Ils ont ensuite tenu tête aux Français et aux Croates mais sans cette fois bénéficier de la victoire. Ce parcours, hors normes était inattendu, le football marocain étant peu aguerri à ce genre d’adversaires et de compétitions. Les joueurs ont démontré qu’ils étaient du niveau et qu’ils avaient peu à apprendre de leurs adversaires. La force du groupe a fait basculer toutes les appréhensions. Cette unité collective c’est naturellement celle des joueurs et de leur individualité mais c’est aussi et peut-être en priorité celle de leur entraîneur, Walid Regragui. En poste depuis trois mois seulement à la tête des Lions après le limogeage un peu houleux de Vahid Halilhodzic. Il avait montré ses qualités de meneur d’hommes en emmenant il y a quelques mois le Wydad de Casablanca au titre de champion d’Afrique des clubs mais son avènement en temps que leader d’une équipe mondialiste sur un continent où on a toujours tendance à vouloir limiter les capacités des locaux – en ce cas précis d’un bi-national franco-marocain. La recette était la bonne mais il fallait y penser.

L’irrésistible ascension des Lions de l’Atlas a suscité une cascade de commentaires élogieux et certains se sont empressés de confondre Maroc et Afrique comme ils confondent, à longueur de temps, vitesse et précipitation vitesse.

Ecoutons, par exemple, l’Empereur de la FIFA, Gianni Infantino : « 
« Le Maroc a exceptionnellement bien joué, avec une grande envie et une qualité indéniable. Je voudrais également féliciter les autres équipes africaines. Pendant de nombreuses décennies, nous avons parlé du développement du football africain et du moment où leur heure viendrait. Je pense que leur heure est venue. Il y aura le double d’équipes africaines à la prochaine Coupe du monde et je suis sûr que nous pouvons nous attendre à d’autres excellentes prestations. »
Depuis les années 70 j’ai entendu et entendu ce genre de prophéties chaleureuses. A ces observateurs lointains je voudrais leur livrer quelques informations dont visiblement pas connaissance. A quelques heures de la finale de Doha, l’Ouganda a fait savoir qu’elle ne serait pas en mesure d’envoyer son équipe en Algérie, pour le Championnat d’Afrique des Nations (CHAN, faute de moyens financiers. Quelques jours auparavant les Congolais s’interrogeaient sur la poursuite de leur Ligue 1 alors que l’argent affecté aux clubs pour y participer avait déjà été dépensé à mi-championnat. Il y a quelques mois les joueurs nigérians se sont mis en grève car ils n’étaient plus payés depuis des mois. Les nouvelles éliminatoires de grandes compétitions CAN U20, U17, U15, hommes comme femmes, ont été un échec. Outre des forfaits, sur place on a constaté que les tribunes étaient désespérément vides. Les spectateurs n’ont pas adhéré hormis, pour partie seulement, ceux du pays en charge de l’organisation locale. Après avoir été des rois de l’Afrique, Nigérians et Ghanéens ont beaucoup de difficultés à gommer les années COVID. Très peu parmi les 54 pays membres de la Confédération Africaine de Football ont pu s’en sortir et la CAF N’a cessé ces derniers mois de multiplier les compétitions. L’organisation du football est à bout de souffle. Et faute d’un intérêt supérieur ces néo-organisations se sont faites au détriment d’une bonne organisation des championnats nationaux où il faut cravacher pour tenir le calendrier dans les délais.

Lors d’une conférence de presse à Johannesburg le président de la CAF Patrice Motsepe n’a su que se féliciter de la participation collective des cinq africains : « La CAF est particulièrement enthousiasmée par les victoires historiques du Maroc et sa qualification pour les demi-finales de la Coupe du Monde de la FIFA Qatar 2022, ainsi que par les performances impressionnantes du Sénégal, du Cameroun, de la Tunisie et du Ghana. Notre objectif de faire en sorte qu’une nation africaine remporte la Coupe du Monde de la FIFA est vivant et à portée de main ». La CAF s’engage également à améliorer la qualité des formateurs, des entraîneurs, des arbitres et du football dans chacune des 54 associations membres de la CAF. La mise en œuvre des meilleures pratiques mondiales en matière de gouvernance, d’audit et d’administration porte ses fruits et des discussions mutuellement bénéfiques ont lieu avec nos sponsors, partenaires et investisseurs financiers. Nous progressons également dans le dossier de la Super League africaine et des annonces à ce sujet seront faites en temps voulu ».

Le travail à réaliser est énorme et ce n’est pas le championnat des scolaires qui va contribuer à améliorer la qualité du football en Afrique. L’école n’est pas là pour enseigner le football. Elle a bien d’autres missions, autrement plus importantes. Ces écoles vont mettre en avant des talents qui seront récupérés par les grandes équipes européennes. Le destin des gamins en conduira bon nombre à devenir des bi-nationaux perdus pour leur football national. Toute l’Afrique a suivi le parcours de l’équipe de France qui a fait grand profit de ses « Africains ». Je pourrais continuer et continuer encore.
Tout le monde est bien d’accord l’Afrique est un réservoir sans fin de grands talents. Il serait grand temps qu’elle en profite. Le travail à accomplir est immense. C’est d’abord toute l’organisation du sport-roi dans chacun des pays qui est à revoir. L’Etat a son rôle en définissant les grandes orientations. Les dirigeants des fédérations nationales doivent être là pour servir les joueurs, leurs clubs, et ne pas se comporter en béni-oui-oui de la FIFA et de la CAF. Les vrais acteurs doivent se concerter pour définir avec précision leurs vrais besoins, en hommes, en matériels, en formation, en aires de jeu. Peut-être pourrait-on commencer par réduire le nombre de clubs de l’élite. Qu’on laisse enfin la parole aux hommes de terrain, ceux qui connaissent vraiment le football et l’aiment plus que l’argent dont trop sont, hélas, avides.
Une suggestion, que les pays anglophones et les pays francophones prennent contact avec les fédérations anglaise et française afin de savoir comment est organisée le football dans leur pays, depuis les plus jeunes jusqu’aux moins de vingt ans, élaborer une synthèse et voir comment l’adopter aux pays africains
Cela fait cinquante ans que j’accompagne le football africain et je dis à tous ceux qui construisent et aiment vraiment le football. Votre heure est venue. Tous ensemble pour la révolution du bon sens.

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