La CAF et le football africain en pleine crise existentielle

Avant toute considération, je tiens à rendre hommage à deux hommes qui ont eu le courage de dénoncer, il y a un an et demi, les errements de la direction de la CAF. Le premier s’appelait, oui s’appelait, car il fut arraché à sa famille et à ses amis au début de cette année des suites d’une maladie souvent impitoyable, en pleine force de l’âge, à 36 ans. Amr Fahmy appartenait à une grande famille de serviteurs légendaires du football africain. Son grand-père Mourad et son père Mustapha l’avaient précédé dans la fonction de secrétaire-général de l’institution. Le deuxième s’appelle Mohamed El Sherei, directeur financier de la CAF avant son limogeage au mois de juillet 2019. Lui aussi avait de qui tenir puisqu’il était le fils de la très remarquable et très redoutée pour sa rigueur Madame Amira, secrétaire générale adjointe de 1970 à 1993. Ces deux hommes sont ceux qui ont instruit la FIFA, documents à l’appui, des dérives financières de la CAF. Sans eux, jamais l’affaire ne serait remontée jusqu’à l’instance suprême du football. Un mot aussi pour ne pas oublier tous ceux qui, dès l’arrivée du président Ahmad ont été éjectés du siège au Caire parce qu’il fallait chasser de leurs bureaux ceux qui n’avaient jamais ménagé leurs efforts pour faire fonctionner la maison. Ils ne m’en voudront pas de ne pas citer leurs noms. Politique de la table rase.

Aujourd’hui, avec beaucoup de retard quand même, la FIFA ayant, semble-t-il, mis le dossier sous le boisseau, le verdict est tombé. Le président Ahmad Ahmad a été suspendu (bel euphémisme) pour cinq ans. Mais on sait qu’il ne reviendra pas. Beaucoup en Afrique étaient au courant de ce qu’il se passait mais la presse algérienne fut la seule à s’intéresser à l’affaire. On continuera de s’interroger sur le rôle du président de la FIFA, Gianni Infantino, qui fut, chacun le sait, l’un des artisans de la victoire d’Ahmad Ahmad contre le président en place Issa Hayatou le 17 mars 2017 à Addis Abeba. Il savait que le dirigeant camerounais n’appartenait pas à la catégorie des malléables, qu’il n’était pas une marionnette. Mal lui en a pris. Le président de la FIFA, par son choix, a largement contribué au drame qui survient en cette fin du mois de novembre.

Car c’est un drame. Le football africain est en danger. A son niveau directionnel il a perdu tout ou presque de sa crédibilité. Tenez, vous ne le savez peut-être pas, il y a quelques jours le « New York Times » a publié un article sur un contrat de droits de télévision signé avec Lagardère Sports. Pourquoi le New York Times qui n’est pas un spécialiste du football africain, qui n’y a jamais consacré la moindre ligne, s’intéresse-t-il, étrangement aux affaires de la CAF ?  J’ai une explication qui a trotté dans ma tête ces dernières heures mais je dois l’approfondir pour l’accréditer.
Et maintenant on va voter – c’était prévu avant la disgrâce d’Ahmad Ahmad – pour élire un nouveau président à la tête de la CAF. Les quatre candidats ne vont pas tarder à entrer en campagne s’ils ne l’ont déjà fait. Il faudra qu’il ne se satisfasse plus de faire la tournée des électeurs. Il est indispensable qu’ils communiquent aux médias et, par conséquent, à tout le monde, un programme rigoureux pour redresser la situation. Pensez-vous normal par exemple qu’on dispute la finale (sur un seul match, grande première) de la Ligue des champions au même moment que les matches du premier tour de la Ligue des champions et de la Coupe de la Confédération 2020-2021 ?
Aberration médiatique !
Pensez-vous normal qu’une équipe en déplacement pour un match éliminatoire de CAN passe une bonne partie de sa nuit d’arrivée à l’aéroport pour des raisons fallacieuses ?
Pensez-vous normal que quatre des huit équipes, présentes en Afrique pour participer à la phase éliminatoire (zone COSAFA) de la CAN U17, débarquent sur les lieux du tournoi avec des joueurs ayant dépassé la limite d’âge.

Pensez-vous normal que des représentants de la Liga espagnole (La Liga) se rendent en Tanzanie dans quelques jours pour rechercher de nouveaux talents lors de la 11e édition du Tournoi de football des jeunes d’Afrique de l’Est. Par le biais de la branche Afrique de la Liga, les meilleures divisions de football espagnoles recruteront les joueurs talentueux pendant la Coupe Chipkizi, ce qui leur donnera l’occasion de jouer au-delà des frontières de la Tanzanie. Et de changer de nationalité si leur talent le leur permet. Peut-être pourrait-on demander qu’ils ne perdent pas leur nationalité. Je rappelle que je vous ai parlé des trois ou quatre nouvelles pépites en train d’éclore en Europe. Elles sont toutes Africaines. Enfin étaient car elles ont vite fait, bien fait, changé de nationalité.

La suspension d’Ahmad Ahmad a mis en avant la crise de la CAF. Mais c’est tout le football africain qui traverse une période extrêmement difficile notamment aggravée par la pandémie de Covid-19. Le professionnalisme tel qu’il est vécu sur le continent reste une chimère. Il est indispensable qu’il soit complètement repensé. Soit on fait du foot pro ave le foot africain devra c toutes les règles sévères qu’il nécessite, soit le foot africain ne sera qu’un réservoir pour les clubs de continents plus riches.
Oui c’est un très vaste chantier que le nouveau président de la CAF devra entreprendre en consultant au-delà des présidents des associations nationales.
Il existe, en Afrique, une poignée de grandes équipes, pour certaines plus que centenaires, qui se sont construites dans la durée, sur du solide, avec une administration très rigoureuse. Elles peuvent apporter leur savoir-faire à des clubs encore en phase de développement.,

Il faut que le monde du football cesse de vivre sur des mensonges. S’il veut redevenir ce qu’il fut, retrouver un public, tâche très difficile en raison de la concurrence des chaînes de télévision dévoreuse de la Premier Ligue, de la Liga, de la Bundesliga, de la Série A ou de la Ligue 1, alors il est indispensable de revoir l’organisation du football de l’élite et de ne pas avoir ces championnats avec 18 ou 20 clubs incapables de s’auto-financer.

Oui, on pourrait encore continuer. Mais je voudrais terminer sur une note positive. L’heure n’est plus au rafistolage, à des solutions bancales. La crise de la CAF ne doit être qu’un accident salutaire et donner lieu à une prise de conscience collective. Le football africain dispose d’un nombre incalculable de talents sur les pelouses. Ce qu’il faut remuer c’est tout ce qui se trouve en dehors des terrains, dépoussiérer, rénover des structures qui remontent au XXe siècle. En 1982, l’ancien président de la FIFA, Joao Havelange, auquel je demandais après la prestation de l’Algérie et du Cameroun s’il n’était pas l’heure d’octroyer une troisième place aux Africains à la Coupe du monde m’avait répondu « l’Afrique a les Jeux Olympiques ». Je me demande si nous ne sommes pas revenus quarante années en arrière. L’Afrique doit se retrousser les manches et l’avatar Ahmad ne sera plus qu’un mauvais souvenir qui n’aura cependant pas été inutile.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *