In memoriam

Il y a 17 ans disparaissait Marc-Vivien Foé. J’ai retrouvé dans mes archives des articles que j’avais écrits alors.

L’équipe de France de football a conservé la Coupe des Confédérations remportée une première fois en 2001. Dans un climat très particulier, celui de la communion et du recueillement, elle s’est imposée face aux Lions Indomptables du Cameroun grâce au but en or inscrit par Thierry Henry à la 97ème minute de la finale.

 Fallait-il ou non disputer la finale ? Vendredi, au lendemain de la disparition tragique du Camerounais Marc-Vivien Foé, pendant la demi-finale contre la Colombie, les avis demeuraient très partagés au sein des joueurs. Beaucoup parmi les Français n’y étaient pas très favorable, à l’image de Mikaël Silvestre : «je ne sais pas si c’est un hommage de disputer la finale ; si ce sont seulement les impératifs commerciaux qui imposent de jouer ce match, c’est aberrant ». Dans le camp camerounais, il semblait, en revanche, se dessiner une nette volonté d’être sur le terrain pour leur copain Marco. Dans de telles circonstances, lui-même aurait, sans doute, décidé de jouer.

Bref, c’est dans cette atmosphère inédite que les deux équipes s’étaient donné rendez-vous au stade de France, là-même où en octobre 2000, elles avaient déjà bataillé (1-1). Pour la circonstance, le stade s’était transformé en une immense chapelle. Les deux capitaines, Rigobert Song et Marcel Desailly, pénétraient sur la pelouse portant, ensemble, un immense portrait de Foé, tandis que dans la tribune officielle, à la droite immédiate du président de la FIFA, Joseph Blatter, s’était assise Marie-Louise, épouse éplorée du disparu. Les deux filets de larmes qui embrumaient son visage lui donnaient l’expression d’une madone bien chétive et plus encore d’une enfant désorientée devant le drame. Les équipiers de Foé, en hommage à leur camarade avaient tous revêtu un maillot identique, frappé du numéro 17, son maillot, et de son nom.

Pour la première fois de leur histoire, les Lions Indomptables allaient jouer tout de blanc vêtus ; dans certaines communautés, le blanc est la couleur du deuil. La minute de silence respectée comme elle ne l’est pas toujours donnait l’occasion aux deux formations, se tenant par les épaules (un Bleu, un Blanc, un Bleu, un Blanc) de communier à l’identique. L’avant-finale ressemblait à une procession d’une extraordinaire dignité, à laquelle le public avait décidé de s’associer. Jamais probablement Français et Camerounais ne s’étaient sentis si proches ; Marc-Vivien Foé, qui était la discrétion même, ignorait que sa notoriété était si grande et que le public, outre ses talents de joueurs reconnus de tous, avait discerné dans son comportement hors du terrain une très forte valeur humaine. Ceux qui avaient voulu le maintien du match n’avaient pas eu tort.

Un Lion ne meurt jamais, il dort

Ce fut un vrai match, une vraie finale d’une épreuve globalement pas exceptionnelle – pour les raisons évoquées avant même son coup d’envoi – avec son lot de moments intenses, d’occasions réelles mais souvent gâchées, de gestes techniques. Les guerriers camerounais démontraient une fois encore sur un terrain de football qu’ils savaient dépasser les drames et livrer le meilleur d’eux-mêmes. Les Français paraissaient plus mal à l’aise. La victoire obtenue, Thierry Henry, auteur du but, s’excusait presque d’avoir gagné ; « pour une fois, avouait-il, j’aurais été heureux de perdre un match ». Si la logique sportive avait été respectée, le Cameroun aurait mérité de remporter une rencontre qu’il avait dominé, surtout en deuxième mi-temps, imposant à la France sa puissance athlétique, interdisant au milieu de terrain et aux attaquants tricolores de déployer leur jeu offensif habituel. Un match sans faux-semblant, empreint de respect, de dignité, avec deux cartons jaunes seulement.

Quant au capitaine des « Lions Indomptables », Rigobert Song, complice depuis plus de douze ans de Foé, il retrouvait au coup de sifflet final, le masque de ceux qui ont perdu un être très cher. Pendant une centaine de minutes, ses coéquipiers et lui avaient fait comme s’ils disputaient un match comme les autres, mais la parenthèse passée, une lourde chape de plomb retombait sur les verts. Son corps n’était plus là, mais son âme était sur chaque siège, dans le cœur de chaque acteur et témoin de cette finale.

Un Lion ne meurt jamais, il dort, lisait-on sur une pancarte brandie par un spectateur anonyme. Si le Lion Foé s’était réveillé à Saint-Denis il se serait aperçu qu’indomptable il était, et qu’inoubliable il est devenu.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *