L’affaire du « tout en un » des Lions Indomptables.

Il y a quelques jours l’ami Claude Kana évoquait les petites facéties de Roger Milla qui avait décidé de porter lors de la CAN 1982 en Libye une tenue différente de celle de ses camarades. Un short et des chaussures Puma et un maillot de la sélection avec une bande blanche sur les épaules. Roger avait un contrat avec Puma et l’équipe avec Le Coq Sportif. C’était la guerre des équipementiers qui m’en a rappelé une autre lors de la CAN 2004 en Tunisie.

Puma avec conçu pour les Lions Indomptables un « tout en un ». Le short et le maillot ne faisait qu’un. Les joueurs les avaient portés pendant les matches depoule.La FIFA avait déclaré ces maillots non-conformes et mis en demeure les Lions Indomptables de changer de tenue pour les quarts de finale de l’épreuve, ce qui n’avait pas été fait. La FIFA avait alors décidé d’infliger une lourde amende à la FECAFOOT (85 millions CFA) et de retirer six points à l’équipe avant le début des éliminatoires de la Coupe du monde 2006.  

Les joueurs n’y étaient pour rien. Ils avaient obéi à leurs dirigeants et je m’étais décidé à adresser une lettre ouverte à Sepp Blatter, alors président de la FIFA. Lettre que j’ai récemment retrouvée dans mes archives et que je reproduis ci-dessous.

Monsieur le Président, je vous fais une lettre que vous lirez peut-être si vous avez le temps…

Depuis des décennies vous avouez avoir une faiblesse sentimentale à l’endroit du continent africain, quand bien même votre nationalité et votre fonction vous recommandent l’observation de la plus stricte neutralité. Apparemment il vous le rend bien. En 1998 il vous a aidé à gagner votre première grande bataille électorale. En 2002 il vous a renouvelé sa confiance alors qu’un homme issu de ses rangs se présentait contre vous. Attachement et fidélité, l’Afrique vous a richement doté.

Vous vous êtes battu avec acharnement contre l’immixtion du politique dans les affaires du football. N’hésitant pourtant jamais à vous montrer aux côtés des chefs d’Etat. Oubliant sans doute trop souvent qu’en Afrique, faute de vraies recettes, l’Etat fait office de banque du football. Imaginez-vous un instant la FIFA, dans l’hypothèse où elle serait en difficulté financière, se fâcher avec ses banquiers. Impensable, bien sûr.

Vous avez fustigé les ministres qui se mêlent de ce qui ne les regarde pas. En Afrique, les ministres des sports sont des gens importants car ils ont sous leur tutelle l’un des seuls domaines d’activité qui réunit les peuples et ne les divise pas, le football. Chez nous, me confiait il y a bien longtemps un de leurs pairs, le ministre des sports est d’abord le ministre du football ; son sort est lié aux résultats de l’équipe nationale. En Afrique, me confiait un autre, l’Etat a précédé la Nation. Le football est le meilleur ferment de l’unité nationale, parfois le seul. A méditer, bien sûr.

Aujourd’hui vous fustigez la tenue désinvolte, débraillée, pour ne pas dire dépenaillée des Lions Indomptables qui sont, aux dires des Camerounais, « les meilleurs ambassadeurs de leur pays sur la scène internationale ». Ce n’est pas la première fois. Il y a deux ans, ils avaient déjà défrayé la chronique avec des maillots plus dignes des salles de NBA que des stades d’une institution désormais centenaire. Réglementairement, les maillots sans manches sont interdits depuis.

Faudra-t-il inclure au chapitre 4 des Lois du jeu le port de la tenue une pièce. Il fut un temps où sur certaines plages, c’est le maillot bikini qui était interdit car trop provocateur ! Cette innovation conçue par l’équipementier de la sélection camerounaise n’a rien de choquant. Des gradins, franchement, on ne voit pas la différence. De plus la tenue n’est pas déplacée. Elle n’est pas trop moulante. On pouvait redouter un ensemble détaillant tous les attributs de l’individu comme pour les coureurs de 100 mètres. Il n’en est rien. Mieux, cette évolution offre le double avantage de limiter au maximum les tirages de maillot et les déshabillages intempestifs après un but.

Certaines mauvaises langues disent que la sanction imposée par la FIFA au Cameroun aurait été suggérée par un de vos partenaires, la célèbre marque aux trois bandes. Chaque coupable est toujours à la recherche d’une justification à ses propres turpitudes et à se défausser sur d’autres de ses propres responsabilités.

Passe que vous ayez infligé une très lourde pénalité financière (128 000 dollars, 85 millions de francs CFA), qui équivaut à la moitié de ce que la FIFA verse chaque année à la FECAFOOT. Après tout pourquoi ne pas lui retirer, pour manquement grave à la discipline, une amende équivalente à l’allocation annuelle ?

Nul ne disconvient que la FECAFOOT n’a pas tenu compte de votre rappel au règlement, ni de votre mise en demeure. Elle est coupable, au minimum, d’indiscipline au regard des règlements et lois dont la FIFA est le garant. Le politique camerounais a bien reçu votre message en destituant le ministre des sports. Et le football est devenue affaire politique en sens inverse. Du stade on est remonté au bureau du ministre puis à celui du chef de l’Etat. Verdict: limogé en raison de certaines insuffisances. Langage diplomatique, politiquement correct. Le juge suprême a infligé un carton rouge à son ministre.

Entre l’annonce de la sanction de la FIFA et le départ du ministre il s’est écoulé une semaine. Laissez-moi me montrer surpris de l’absence de sanction vis-à-vis de la FECAFOOT. Vous avez sanctionné le Cameroun et ses joueurs, pas les hommes à qui vous aviez enjoint de se mettre en conformité avec les règlements. Si vous aviez été ministre des sports du Cameroun, vous auriez vraisemblablement mis en demeure le président de la fédération de démissionner. Et son comité directeur avec lui. Ce sont eux les fautifs. Qu’auriez-vous fait si le ministre camerounais avant sa disgrâce avait pris une telle mesure ? L’auriez-vous condamné au nom de la non-intervention du politique ?

Franchement, pouvez-vous encore accepter pour interlocuteurs des hommes qui n’ont pas respectés les lois de la FIFA ? Ce sont ceux-là qui doivent payer leur faute. Pas les joueurs. Pas davantage le public.

Retirer six points aux Lions Indomptables avant le coup d’envoi des éliminatoires dont on sait qu’elles s’annoncent difficiles, c’est les condamner à ne pas leur permettre de disputer une cinquième phase finale consécutive de Coupe du monde, à leur interdire de défendre leurs chances de qualification à égalité avec leurs adversaires. Et cela serait une attitude non-sportive.

La FIFA est la plus grande institution sportive de la planète avec le Comité international olympique. Elle a le devoir d’exemplarité. Elle a le devoir de protéger le jeu et les joueurs. Elle a le devoir de rendre la justice. De mettre à la raison les vrais coupables et de s’en remettre à la loi équitable du terrain pour désigner vainqueurs et vaincus.

Monsieur le Président, soyez bon apôtre. Rendez le jeu aux joueurs et soyez plus vigilants sur ceux qui gouvernent en votre nom, dans leurs pays, sans savoir qu’ils sont aussi vos ambassadeurs et qu’à ce titre, ils sont les dépositaires d’un art de gouverner et du respect absolu des règles qui sont celles de la société football.


La mesure fut annulée lors du Congrès de Paris (mai 2004) qui marquait le centenaire de la création de l’instance supérieure du football mondial. Cette affaire ne porta pas chance aux Lions Indomptables qui furent écartés de la phase finale de la Coupe du monde en terminant deuxièmes de leur poule éliminatoire derrière les Eléphants de Côte d’Ivoire, après avoir concédé un nul-catastrophe lors de la dernière journée aux Pharaons d’Egypte. Mais c’est une autre histoire…

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