Robert Herbin vient de rejoindre une autre légende du football français, disparue quelques semaines avant lui, Michel Hidalgo. Ces deux hommes, anciens joueurs et internationaux, puis entraîneurs magiques, vus de France, je les avais côtoyés, micro de RFI à la main, comme beaucoup d’autres mais je n’aurais pas l’outrecuidance de prétendre que je les connaissais. Mais avec chacun d’eux j’ai un souvenir précis qui nous rapporte à l’Afrique.
Robert Herbin je l’avais approché en janvier 1979. Il était venu avec Saint-Etienne à Abidjan participer au « Trophée de la Paix », tournoi mis sur pied par « Ivoire-Dimanche », un hebdomadaire auquel je collaborais. J’étais un peu le relais à Paris du journal pour les relations avec le club. Avaient été invités le CSKA Sofia et surtout l’une des équipes emblématiques du continent, le célèbre Hafia de Conakry. Le football ivoirien était représenté par l’Africa Sports d’Abidjan.
Premier problème : le tirage au sort. Il n’y en eut pas sinon fictif. J’avais dit aux organisateurs que Hafia – Saint Etienne était l’affiche que tout le monde attendait et qu’on n’avait pas le droit de passer à côté. Les Ivoiriens se rangèrent très vite à mon avis. Bien sûr que j’aurais préféré que ce soit la finale.
Deuxième problème : les deux clubs portaient chacun un maillot vert. C’était un problème diplomatique. Je me vois encore en train de discuter avec mon confrère Pathé Diallo qui était journaliste mais pas que… et qui était comme une sorte de sentinelle du Hafia et du Syli National de Guinée. L’affaire était mal engagée. Mon argument était que Saint-Etienne, en Afrique comme en France, c’était « les Verts ». Mais, insista Pathé Diallo, le Hafia joue toujours en vert c’est sa couleur. Nous nous séparâmes sans nous être convaincus l’un l’autre. Et pourtant, je ne sais par quel miracle, j’obtins gain de cause. Saint-Etienne l’emporta 2 buts à 1 mais le Hafia n’était plus la lumineuse équipe du début des années 70 qui fut la première à gagner trois fois la Coupe d’Afrique des clubs champions (72,75,77).
Je me souviens du sourire narquois de Robert Herbin lorsque le Président Roger Rocher s’approchait de lui. Deux personnages tellement différents, le premier était dans le paraître, le deuxième dans le transparaître, extrêmement difficile à saisir, plus soucieux du terrain et de son équipe que des apparences.
Je les retrouverai l’année suivante avec un petit nouveau dans le groupe, Michel Platini, que j’avais côtoyé deux ans plus tôt à Nancy où j’étais venu achever la rédaction d’un livre consacré à Laurent Pokou.
Avec Michel Hidalgo j’ai aussi un souvenir africain. Inattendu. Là encore je le connaissais pour l’avoir interviewé à plusieurs reprises. Nous sommes à Mexico, au lendemain de l’élimination du Maroc par l’Allemagne au deuxième tour de la Coupe du monde. Je suis revenu dans la capitale afin de prendre mon avion du retour. Dans la salle à manger de l’hôtel, j’aperçois une table où on fait grand bruit. Il y a Hidalgo, Just Fontaine mais aussi Enrico Macias qui rigole fort et puis des journalistes et d’autres personnes. Je vais saluer ceux que je connais quand Hidalgo me prend à part. Gérard, me dit-il, vous avez de bonnes accointances avec le Maroc. Comme vous le savez je suis engagé avec Bernard Tapie dans sa reprise de l’OM. Nous sommes intéressés par Mohamed Timoumi. Quand vous serez de retour à Paris, allez le voir, je le préviendrai. Quelques semaines plus tard, animé par ce sentiment de curiosité qui ne m’a jamais quitté, je me suis retrouvé face à Bernard Tapie. Il m’a demandé si je pouvais intervenir. Je connaissais bien le ministre des sports, Abdellatif Semlali. Je pouvais lui en parler. Sur la fin Bernard Tapie me demanda si Timoumi pouvait prendre la nationalité française. Je lui répondis qu’il ne me paraissait pas possible de suggérer une telle décision, que je ne serais pas le meilleur avocat. Et puis nous nous sommes quittés. Timoumi n’est jamais venu à Marseille. Je pense que Tapie avait changé son fusil d’épaule.
C’est souvent lorsque les gens ne sont plus là que la mémoire se met en fusion, mélange de souvenirs, de nostalgie et de bons coups de blues.